Manifeste pour une nouvelle spiritualité

Extraits de La spiritualité naturelle ou la danse de l’Eveil (L’Écologie Intérieure 3) par Yann Thibaud.

Voilà presque deux siècles qu’au nom de l’idéologie du progrès, la société occidentale (aujourd’hui étendue à la planète entière) a cru trouver le bonheur et le sens de l’existence, dans une production et une consommation sans limite de biens et de produits, jusqu’à l’épuisement programmé des ressources de la Terre qui accueille l’humanité. Sortir de cette impasse suicidaire implique de transformer radicalement nos modes de vie et de pensée.
C’est pourquoi la crise généralisée que nous traversons n’est pas seulement économique, financière, énergétique ou politique : elle est d’abord structurelle, culturelle, civilisationnelle et (osons le mot) spirituelle ; elle est la conséquence d’une idéologie absurde, réduisant l’être humain à un agent économique, sorte de créature robotique ayant pour seule finalité de produire et consommer, niant par là sa dimension affective, sensible, intuitive et idéaliste ; elle signe le désastre du matérialisme, l’échec d’un monde dédié au culte du profit, la fin d’une illusion, mais aussi peut-être la naissance d’un monde différent, plus sage, plus heureux et plus libre, comme la métamorphose de la triste chenille en somptueux papillon.

Notre potentiel oublié

Les peuples qui nous ont précédés et qui eurent au moins le grand mérite de nous léguer une planète habitable, n’étaient pas, quant à eux, des obsédés de la croissance et du pouvoir d’achat. Leurs centres d’intérêts étaient d’une toute autre nature : ils se passionnaient pour des questions mystiques et métaphysiques et entreprirent, par de multiples voies, de connaître et développer les aptitudes et potentiels de la conscience et de l’esprit.
Aussi, sur tous les continents et dans toutes les cultures, peut-on trouver le récit ou le témoignage d’êtres s’étant affranchis des limitations de la conscience ordinaire et faisant montre de qualités et capacités exceptionnelles : une joie et un amour constants et sans limite, une totale sérénité et un niveau élevé de discernement et de sagesse.

Cet état résultant d’un changement intérieur radical, se trouve qualifié par des mots très variés : ainsi en Orient, on parle dans le bouddhisme d’éveil ou d’illumination, dans l’hindouisme de libération ou de réalisation, et dans d’autres traditions (soufisme, taoïsme et même chamanisme) on trouvera des termes équivalents ; en Occident, on recourt aux concepts quelque peu différents de sagesse ou de sainteté, mais les états que ces divers mots tentent de traduire, s’avèrent proches ou similaires, car ils constituent une réalité universelle, un potentiel offert à tout être humain, quels que soient sa culture, son origine ou son parcours.
Le véritable bonheur serait-il donc l’Éveil ?
En quoi consiste-t-il exactement et comment en faire l’expérience ?
Comment reconnaître les « éveillés » ?
Passent-ils devant une commission chargée de les évaluer, les authentifier et leur délivrer une certification ou une autorisation d’exercer ?

Il n’existe heureusement pas de bureaucratie de l’Éveil. Le rayonnement, la bonté et l’amour qui émanent des éveillés sont les seules sources de la fascination qu’il suscitent. Pour qui a eu la chance de les rencontrer ou même de les voir en photo ou en vidéo (notamment par les livres et films d’Arnaud Desjardins), ce qui frappe est d’abord la profondeur et l’intensité de leur regard, à la fois doux et puissant, aimant et conscient.
L’amour que manifestent les éveillés a ceci de remarquable et d’inhabituel, qu’il touche chacun intimement et parfois de façon bouleversante, tout en étant parfaitement impersonnel, offert également à tous les êtres qu’ils rencontrent.
Cette manière d’aimer nous est la plupart du temps inconnue, tant elle diffère de ce que nous nommons généralement « amour », sentiment possessif, exclusif et jaloux, accordé à certains et pas à d’autres, susceptible de se muer, s’il est contrarié, en haine, mépris ou même indifférence.
L’amour ressenti par un être éveillé est au contraire patient, immuable, paisible et inconditionnel (accordé sans condition), parce qu’il ne dépend pas de l’autre mais de soi et résulte simplement de la joie d’être, de la reconnexion à la source intérieure et éternelle de sagesse et de bonté.

N’étant plus sujets aux projections, illusions et fantasmes qui altèrent généralement le mental humain, ayant atteint un plan de conscience situé au-delà des émotions aliénantes, ils perçoivent le réel avec clarté et précision, et s’y adaptent d’instant en instant, avec aisance, naturel, grâce et fluidité.
Autrement dit, ils improvisent constamment, ce qui ne manque pas de décontenancer ceux qui ne s’autorisent pas pareille liberté. Leurs paroles, actes et décisions ne se fondent pas sur l’application de principes, règles ou commandements, mais sur la perception directe et immédiate de chaque situation et sur l’appréciation intuitive de la meilleure conduite à tenir, pour le plus grand bénéfice de chacun.
En raison de la joie, l’énergie et la sérénité qu’ils émanent, les éveillés sont souvent l’objet d’un immense respect, voire même d’une intense vénération, pouvant aller jusqu’au culte de la personnalité.
Or l’adulation ou l’idolâtrie n’aide en rien à progresser sur la voie de l’Éveil. C’est même le contraire car, aussi longtemps que l’on mettra un autre être sur un piédestal en chantant ses louanges, on niera sa propre beauté et sa propre lumière, en les projetant sur son gourou de prédilection.

Pourtant, l’Éveil ne nous est pas inconnu : nous en avons tous eu des aperçus, ne serait-ce que fugitivement, durant quelques minutes, heures ou semaines dans des circonstances particulières, au cours d’un voyage, au plus fort d’une relation amoureuse, pendant un intense épisode de création artistique ou durant un séjour au cœur de la nature…
Il nous est ainsi certainement arrivé de ressentir soudain et sans savoir pourquoi, une immense joie et une profonde paix, éprouvant le sentiment de la perfection de l’instant présent et d’être un avec le monde, l’univers et la vie, puis de perdre cette connexion, de refermer les portes du sublime et de retomber dans les illusions et limitations de la conscience ordinaire.
C’est pourquoi l’Éveil nous appartient et nous concerne tous : il existe en chacun à l’état latent ; il est notre nature véritable, notre identité ultime, essentielle et ineffaçable, qui ne peut nous être retirée, quels que soient nos torts, erreurs, défauts ou insuffisances.
L’Éveil n’est donc pas l’apanage, ni la propriété exclusive de quelques ermites en lévitation dans une grotte de l’Himalaya ou de gourous fameux, entourés de leurs nombreux disciples dans de vastes ashrams.
L’Éveil est le devenir et la vocation de l’humanité toute entière, notre rêve perdu, notre mission oubliée et la raison d’être de notre présence sur Terre.

Dans les milieux dits spirituels, l’Éveil est généralement conçu comme un évènement grandiose, impressionnant, spectaculaire, réservé à quelques êtres prédestinés et quasiment inaccessible au commun des mortels.
Cette conception élitiste et hiérarchique de l’Éveil, qui conduit à le placer en-dehors de l’existence quotidienne de chacun, hors de portée de la majorité des humains, ne correspond pourtant pas à la réalité : pour qui en a fait l’expérience concrète et effective, le processus d’Éveil revêt de multiples formes, différentes pour chacun: il peut être immédiat ou graduel, comporter des avancées et des reculs, des ombres et des lumières ; il est mystérieux, progressif, incontrôlable et imprévisible.
Le temps est venu, sans doute, de démythifier, désacraliser et démocratiser l’Éveil et de comprendre qu’il s’agit d’une possibilité universelle, chacun d’entre nous pouvant dès lors être légitimement qualifié d’éveillé en puissance ou en devenir, d’intermittent de l’Éveil comme il est des intermittents du spectacle.

La méditation naturelle

Si, comme l’affirment les éveillés eux-mêmes, l’Éveil est ce que nous sommes, notre nature intime et notre réalité ultime, alors il n’est nul besoin de recourir à des techniques complexes ou des initiations exotiques ou ésotériques, pour retrouver la mémoire de notre identité véritable.
Nul besoin en effet de discipline sévère, de pratiques rigoureuses ou de connaissances secrètes pour être soi-même, mais simplement le désir sincère de connaître et comprendre ce qui se passe en soi.

Or, dans notre monde, tout semble fait pour qu’à aucun moment, il ne soit possible de se livrer à cette exploration intérieure, l’esprit étant constamment occupé par de multiples activités et les rares moments de repos, meublés par le son de la radio, de la télévision ou de l’ordinateur.
Même les instants consacrés à la méditation sont le plus souvent employés à se conformer à des techniques, protocoles ou systèmes, consistant à se focaliser sur un son, un objet , un symbole, une idée, un endroit du corps, etc.
Or, pour que l’être intérieur ou le moi profond puisse se manifester, encore faut-il lui en laisser la possibilité et, pour cela, se tourner vers l’intérieur et s’ouvrir à ce qui survient spontanément en soi.

Lorsque l’on entreprend de se connaître et que l’on porte son attention sur son monde intérieur, on est d’abord frappé par sa richesse et son foisonnement : sensations, pulsions, émotions, pensées, désirs, sentiments se succèdent continuellement et (apparemment) sans ordre, ni logique, faisant penser à une jungle grouillante de vie.
Si l’on est adepte de la guerre contre soi, on s’efforcera alors de mettre au pas et faire défiler en rangs bien ordonnés, ce peuple intérieur décidément trop indiscipliné et exubérant ; autrement dit, on tentera, en vue de méditer, de chasser ses pensées (parce qu’elles émanent du « mental », cette sorte d’entité dégoûtante et monstrueuse, censée être la cause de tous nos maux !), de nier ses pulsions et de masquer ses émotions ; et l’on n’aboutira qu’à brider, brimer et briser sa nature intérieure, ses envies, ses instincts, son besoin de bonheur, de joie, de liberté, sa créativité, sa sagesse et son esprit.

Mais si l’on accepte son monde intérieur tel qu’il est, en se contentant de le percevoir avec intérêt, bienveillance et neutralité, alors il reprendra forme et sens : les pensées, dès lors qu’elles sont écoutées, honorées et prises en compte, peuvent s’approfondir, quitter le plan superficiel des réactions émotionnelles et réflexes conformistes, pour donner lieu à des prises de conscience émanant de la sagesse intérieure, s’avérant être source de compréhensions, révélations et inspirations appropriées ; les émotions perçues, acceptées et libérées, se transmutent alors en paix, joie et plénitude ; quant aux désirs, si leur substrat émotionnel se transmute, ils s’approfondissent également et deviennent des intuitions justes et pertinentes, provenant des couches profondes de la conscience.

Ainsi ce que l’on pourrait appeler la méditation libre, naturelle ou spontanée, au lieu d’imposer un ordre arbitraire et artificiel à ses pensées, désirs et sentiments, consiste simplement à les accepter, les laisser être et suivre leur cours naturel, que l’on ne peut déterminer par avance, mais qui aboutit toujours à une réorganisation, réharmonisation et clarification de l’esprit.
Méditer ne consiste donc pas à adopter le look, la posture et les manières du méditant, à singer un modèle ou à devenir une statue vivante, mais au contraire à perdre ou déconstruire les déguisements sociaux, repères et croyances obsolètes, pour laisser resplendir la magnificence du moi véritable.
C’est ainsi que, couche après couche, strate après strate, la méditation authentique permet de se libérer de ces vieux vêtements usés et inutiles, qui recouvrent et masquent le soleil intérieur.

Voilà maintenant quelques décennies que la méditation est devenue à la mode ; et s’est peu à peu diffusée, dans les médias notamment, l’image stéréotypée du méditant installé dans une posture impeccable, accompagnée de l’idée naïve et simpliste que cette seule position immobile allait amener magiquement et automatiquement le bien-être et la sérénité.
En réalité, la méditation est une attitude intérieure, consistant à être constamment conscient de ce qui se produit en soi et autour de soi ; et c’est le développement de cette « conscience-témoin », qui va préparer le terrain et rendre possible l’émergence progressive de l’être intérieur et la venue d’états d’Éveil et d’expansion de conscience.
C’est pourquoi la méditation se pratique tout le temps ou jamais : elle ne consiste pas à s’asseoir en tailleur à horaires déterminés en suivant un protocole précis, mais à être à chaque instant attentif à ce qui advient ; elle est une dynamique intérieure qui se met en place, lorsque l’on commence à percevoir sereinement ses propres fonctionnements, comme le spectacle du monde.

La meilleure position de méditation est simplement celle qui permet le mieux de se détendre, se relâcher, s’ouvrir et lâcher prise, ce qui implique qu’elle sera différente pour chacun et selon le moment de la journée.
Ce qui montre bien que la posture de méditation n’a pas l’importance quelque peu fétichiste qu’on lui accorde, c’est que les états d’expansion de conscience, en pratique, surviennent n’importe quand et n’importe où, dans le courant de la vie, au moment même où l’on se détend et où l’on lâche prise, au restaurant, dans un ascenseur, sur le périphérique, en faisant du ski, en se promenant dans la rue…
L’Éveil comme l’amour ne connaît pas de loi ; il ne dépend pas d’une technique ou d’un enseignement, mais au contraire de l’oubli ou du renoncement à toute croyance, certitude ou idée préétablie.

La méditation, au final, n’est autre que la manière normale et naturelle de vivre, connecté à soi, conscient, centré et attentif à toutes choses, adoptant dès lors naturellement un comportement juste, moral, adapté et efficace.
Et c’est faute de cette vision juste, faute d’être reliés à leur sagesse intuitive, que les êtres humains adhèrent à des idéologies guerrières, obéissent à des traditions cruelles et irrationnelles ou se livrent à des activités malsaines, iniques ou prédatrices.
Aussi, la science de la conscience ou l’art de l’esprit que constitue la méditation, est-elle la clé méconnue qui changera le monde, pour peu que l’on s’affranchisse d’une conception archaïque et figée de la pratique méditative, qui l’identifie à cette étrange manie de rester le plus longtemps possible dans une position rigide, statique et hiératique, sorte d’exploit masochiste, absurde et inutile.

C’est par l’expansion de la conscience et la connaissance de soi, que l’être humain pourra changer profondément et durablement, et sortir alors des multiples impasses actuelles.
Chacun, tôt ou tard, sera amené à se tourner vers son propre esprit et à percevoir son propre fonctionnement ; et ce d’autant plus que se diffusera une nouvelle conception de la méditation, plus simple, plus aisée et accessible à tous, perçue non plus comme un cérémonial contraignant et fastidieux, mais comme un changement de regard sur soi et sur le monde, une découverte du bonheur d’être, de sentir et de vivre.
Car la vie est l’essence même de la méditation ; et la méditation n’est rien d’autre que l’expérience consciente de la vie.

La sagesse du désir

Comment l’être éveillé, éclairé et évolué en nous-même pourrait-il en se faire entendre, si ce n’est par des intuitions soudaines, des impulsions, des idées, des envies, des aspirations, autrement dit des désirs ?
Ainsi le désir n’est ni diabolique, ni source de toute souffrance, comme nous le serinent les religions depuis quelques millénaires, mais tout au contraire l’expression de l’être essentiel, le message de la sagesse intérieure et l’impulsion primordiale de vie, sans laquelle nous ne serions que des cadavres ou des robots.

Ne confondons pas les désirs véritables, qui viennent de nous-même et qui nous sont profitables, avec des attitudes-réflexes qui nous sont dictées par le milieu social et l’idéologie de la consommation permanente : s’abrutir tous les soirs devant la télévision pour ne plus penser, ou vider la moitié du frigo pour ne plus ressentir le vide de sa vie, ne sont pas les vrais désirs du cœur ou de l’être intérieur, mais bien une fuite, un évitement ou un déni de ceux-ci.
Le désir est donc à écouter, ressentir, découvrir et honorer ; il est le signal intérieur précieux et puissant, par lequel notre intuition nous fait savoir quelle est la meilleure voie à suivre, le chemin qui nous mènera à l’accomplissement et au succès.
Le désir est illuminateur : il est la voix de l’aspect de nous-même qui aspire à la beauté, au plaisir, à la joie, à l’amour et à une vie enchanteresse.

Dans les années soixante, les enfants du « baby-boom » ont, une fois devenus adultes, vécu, pour une large partie d’entre eux, une véritable révolution du désir, un prodigieux et mystérieux éveil collectif de conscience .
Ils ont su se libérer de leurs peurs ainsi que des tabous, interdits et préjugés de leur classe, leur milieu d’origine ou leur éducation, pour suivre leurs désirs, leurs sentiments, leurs intuitions et leurs idéaux : en très peu d’années, ils inventèrent, découvrirent ou réactualisèrent tout ce qui, aujourd’hui encore, apparaît comme la base d’une société désirable, harmonieuse et alternative : l’écologie, la libération sexuelle, le féminisme, la remise en cause de la société de consommation, du culte du travail et de l’argent-roi, le retour à la terre, la création de communautés, le partage et la gratuité, l’objection de conscience et de croissance, la prise de décision par consensus, la culture par et pour tous, la liberté vestimentaire, les thérapies psycho-corporelles, les écoles différentes, la naissance sans violence, les architectures innovantes (dômes, zomes), etc.
Peace and love, paix et amour, disaient les « enfants-fleurs » à San Francisco : comment pourrait-on mieux résumer l’enseignement du Christ ?
Peut-être furent-ils les premiers à véritablement comprendre son message, lui qui n’a jamais prôné le sacrifice, le renoncement, la culpabilité et l’obéissance, mais qui, par son exemple, invitait au contraire à vivre selon la liberté, l’audace et la vérité de son cœur !

Le lien inhabituel entre désir et spiritualité, entre bonheur de vivre et éveil de l’esprit, se lit pourtant clairement à travers l’histoire des cultures et des sociétés.
Est-ce un hasard si les souverains éclairés, tels par exemple François 1er ou Laurent de Médicis à la Renaissance, adeptes de l’art de vivre et des plaisirs des sens, furent également les protecteurs des lettrés et des artistes, et s’entourèrent des esprits les plus avancés de leur temps, inventeurs, visionnaires, sages et penseurs ?
Et à l’inverse, les régimes intolérants et autoritaires, obsédés par la vertu, la pureté et le puritanisme, sont justement ceux qui brûlent les livres et emprisonnent les dissidents, car ils ne supportent pas les esprits libres et éveillés.
Ainsi, c’est pendant les périodes d’intense effervescence des désirs et des idées, que les peuples connurent un développement considérable des arts et des sciences, ainsi qu’un renouveau philosophique, moral et spirituel, les deux allant de pair.

Ce n’est donc pas le désir qui crée la souffrance et l’obscurantisme, mais bien sa négation, son interdiction ou son refoulement, le refus de le reconnaître, de l’écouter et de le prendre en compte, au nom d’idéologies punitives et castratrices, qui ne conduisent finalement qu’à la frustration, l’amertume, la résignation et la désespérance.
C’est lorsque l’être humain honore et accomplit son rêve, qu’il trouve la joie de vivre, l’apaisement et la plénitude, et non lorsqu’il le fuit, l’ignore et l’enterre, pour faire ce qu’on lui dit ou ce qu’il croit devoir.
Le désir est ainsi la pulsation de vie, le langage du cœur, le souffle de l’esprit ; il conduit aux plus belles destinées, si l’on sait l’écouter, le pister, le trouver.
Car le vrai désir n’est pas acquis d’emblée : c’est un itinéraire, une quête, une alchimie ; il se mérite et demande sincérité et courage.

Voici quelques exemples de cette quête du véritable désir :
Le toxicomane, le pervers ou l’assassin souffre de sa situation ; et s’il est honnête avec lui-même, il reconnaît que son vrai désir et besoin n’est pas de continuer de se livrer à l’auto-destruction, à la dépravation ou à la violence, mais bien d’en guérir et de mener enfin une vie saine, digne et honorable.
Le véritable désir d’un suicidaire n’est pas véritablement de mettre fin à ses jours, mais plutôt de trouver le moyen de transformer sa vie, pour la rendre acceptable, voire même prometteuse.
Lorsque l’on se fâche pour une broutille avec son meilleur ami ou avec la personne aimée, quel est le vrai désir, demeurer dans cette situation douloureuse ou rétablir le contact ?
Et c’est aussi le désir du cœur qui conduit à mettre fin à des relations insatisfaisantes, des emplois inadéquats ou des appartenances désuètes.
Enfin, quel est le vrai désir d’une personne qui se ruine en vêtements de marque ou en voitures de sport, si ce n’est de retrouver l’estime d’elle-même et de réaliser qui elle est vraiment ?

Retrouver et ressentir son véritable désir implique donc de dépasser le stade des réactions premières, émotionnelles, superficielles et conventionnelles, pour entrer en contact avec la profondeur et la vérité de son être.
Le désir authentique n’est ni égoïste, ni vain, ni futile ; émanant du meilleur de soi, il s’avère au contraire noble, juste et idéaliste ; de nature intuitive, il prend en compte l’ensemble des paramètres d’une situation et indique la meilleure conduite à tenir, pour des raisons que l’on découvrira souvent par la suite.
Autrement dit, le cœur est intelligent ; et c’est pourquoi le chemin du désir ou de l’écoute de soi n’est autre que l’appel de l’Éveil et la manifestation de l’être intérieur.

L’imposture religieuse

Qui veut connaître l’Éveil ou souhaite entamer une « démarche spirituelle », sera généralement amené à s’adresser aux professionnels de la profession, c’est-à-dire aux autorités connues et reconnues en la matière, revêtues, selon le cas, de robes blanches, jaunes, rouges, brunes, noires ou même violettes.
L’enseignement prodigué consistera alors invariablement en une impressionnante accumulation de dogmes, doctrines, préceptes, rituels, interdits, observances et commandements, qu’il s’agira d’intégrer, réciter et appliquer, sans qu’à aucun moment, il ne soit question de s’interroger sur leur validité et leur bien-fondé.
Aussi, loin de se libérer du fardeau des réflexes émotionnels et idées préconçues (qui constituent le principal obstacle sur la voie de l’Éveil), on en adoptera de nouveaux et l’on ajoutera ainsi un manteau d’aliénation de plus, sur ceux si nombreux déjà existants.
Et en s’efforçant d’adopter le comportement souhaité, pour être conforme aux exigences de la nouvelle idéologie que l’on aura adoptée, on ne fera que s’éloigner encore davantage de son inspiration personnelle, de sa sagesse spontanée et de sa liberté d’esprit, de parole et d’action.

Car la logique suivie par les traditions religieuses et spirituelles, s’avère toujours la même, fondée sur l’idée que l’être humain est inapte à déterminer par lui-même la bonne manière de vivre, et qu’il doit par conséquent appliquer les idées et pratiques, que des autorités supérieures, supposées plus sages et éclairées que lui, auront établies et élaborées à sa place et pour son bien : aussi les dogmes et doctrines lui prescrivent-ils quoi penser, les prières et livres saints quoi dire et les rituels et commandements quoi faire.
Comment pourrait-on devenir libre, en renonçant à sa souveraineté et en abdiquant systématiquement de son aptitude à exercer cette même liberté ?
Ne pourrait-on imaginer une autre forme de spiritualité, non-religieuse, non-superstitieuse et non-dogmatique, fondée non plus sur le sacrifice, l’obéissance et la répétition de formules toutes-faites, mais sur le plaisir, l’expérience personnelle et l’autonomie de pensée ?

La religion n’a certainement pas pour objet l’Éveil et l’accomplissement de l’être humain, mais tout au contraire son asservissement et son enfermement dans la prison des croyances imposées et des rituels répétitifs.
Au lieu de le libérer de ses chaînes, elle en forge de plus grosses encore. Elle l’abaisse quand elle devrait l’élever. Elle lui fait croire en sa faiblesse, sa petitesse et son indignité, au lieu de lui montre sa puissance, sa grandeur et sa beauté.
La religion est par essence totalitaire, puisqu’elle décrète des dogmes arbitraires et des croyances déraisonnables, obligeant par-là celles et ceux qui y adhèrent, à se couper de leur ressenti intérieur et à renoncer à une pensée libre et souveraine,
Historiquement, elle s’est le plus souvent avérée un outil de domination, de conditionnement et d’infantilisation des masses, au service des intérêts des possédants et des puissants.
L’imposture de la religion consiste à se présenter comme la continuatrice, la dépositaire et la représentante officielle du message des éveillés, alors qu’elle n’en fournit qu’une version tronquée, falsifiée et corrompue, trahissant et dénaturant leurs véritables enseignements.

Prenons l’exemple du christianisme, la religion majoritaire et dominante en Occident : le message du Christ, tel qu’il apparaît dans les Évangiles, est un message révolutionnaire d’amour inconditionnel et d’émancipation de toutes les barrières et frontières mentales et institutionnelles.
Or, en son nom et après sa mort, fut créée par les prêtres et les « pères de l’église », une religion incroyablement oppressive et violente, prêchant exactement le contraire de sa pensée, c’est-à-dire à la fois l’intolérance (persécution des païens, des hérétiques, des prétendues « sorcières », des cathares, inquisition, croisades, guerres de religion…) et le mépris de soi (culpabilisation du corps, du désir et de la sexualité, dépréciation de la femme, apologie du sacrifice, de l’obéissance, de la souffrance, des privations, etc.).
Les véritables héritiers du message christique sont-ils donc les pontifes, prélats et cléricaux, ou ne seraient-ils pas plutôt les mouvements de libération et d’émancipation des jougs, des tutelles et des oppressions, même si ceux-ci ne se revendiquent en rien spirituels ?
De ce point de vue, les révoltes et révolutions, les mouvements culturels précurseurs et visionnaires, tels la Renaissance, les libertins, la philosophie des Lumières, le romantisme, le surréalisme, l’aventure hippie ou les indignés notamment, ne sont-ils pas l’expression manifeste de l’Éveil grandissant, progressif et inéluctable de l’humanité ?

L’histoire des spiritualités montre bien que les êtres les plus évolués et éveillés, de Socrate à Krishnamurti en passant par le Bouddha, Tchouang-Tseu ou le Christ, furent chaque fois considérés comme des hérétiques et des dissidents par les autorités de leur temps, parce que, du fait même de leur Éveil, ils osèrent remettre en cause les croyances et idées alors communément admises.
Le Bouddha par exemple, insatisfait des enseignements de ses maîtres de méditation, décida, peu avant son illumination, de ne se fier qu’a sa propre expérience et de découvrir par lui-même la vérité ultime.
Ainsi est-il possible d’aborder et de vivre les processus spirituels et états d’expansion de conscience, de manière libre et autonome, en-dehors du carcan étouffant et aliénant des dogmes et des rituels.

Or cette démarche est précisément celle de l’expérimentation scientifique, dont le principe est d’étudier le réel sans tabou, interdit ou préjugé.
Science et mystique, rationalité et spiritualité sont ainsi deux domaines, approches ou démarches, non seulement conciliables et compatibles, mais encore complémentaires et intimement liées, comme l’ont montré par exemple les récents développements en physique quantique.
La spiritualité, l’Éveil et la connaissance de soi ont dès lors vocation à être réintégrés au sein du vaste édifice de la culture humaine, à ne plus être considérés comme des sujets tabous, mais à devenir un objet de recherche et de débat, à être étudiés, expérimentés et enseignés comme une discipline à part entière, de manière rigoureuse et approfondie, au même titre que les mathématiques, les langues ou la géographie.

Sortir ainsi l’Éveil du ghetto des milieux spirituels, permet de lui redonner sa véritable place, son enjeu réel, qui est de constituer le socle, la racine ou la fondation des cultures et civilisations.
En effet, il suffit de considérer avec attention les chefs d’œuvres qui nous furent légués par les sociétés passées, en architecture, musique ou poésie par exemple, pour percevoir que leurs auteurs avaient manifestement atteint un haut niveau d’Éveil et d’évolution.
Et l’on pourrait multiplier les exemples, de Pythagore à Einstein en passant par Léonard de Vinci ou Victor Hugo, pour montrer que les grands esprits ayant marqué l’histoire des sciences et des arts, furent pour la plupart des intuitifs inspirés, mystiques et visionnaires, des explorateurs de la conscience autant que de la matière.
L’Éveil est ainsi la source du savoir, la condition de l’esprit, l’origine du génie, la puissance de la création.

C’est pourquoi l’Éveil est la patrie des artistes, philosophes, chercheurs et découvreurs, inventeurs, novateurs et révolutionnaires. Tous participent à leur manière, qu’ils en soient ou non conscients, à l’Éveil de l’humanité, à son émancipation des geôles mentales, psychiques et culturelles, qui la retiennent depuis si longtemps prisonnière.
L’Éveil est la clé de la transformation du monde ; il est le facteur auquel on ne pense pas ; il est le moyen autant que le but, la carte autant que le territoire d’un nouveau monde à inventer, imaginer, créer et édifier.

La flamme du cœur

Pendant des millénaires, hommes et femmes se sont prosternés devant des statues, leur offrant de la nourriture et les aspergeant de lait et de miel, afin d’obtenir les faveurs des « dieux ». Ce fut le culte des idoles.
Puis vint le culte du Dieu unique, qui condamna et supplanta ces pratiques superstitieuses. Mais l’être humain croyait toujours en un Dieu supérieur et extérieur à lui, exigeant sa soumission et son obéissance.
A partir de la Renaissance, de courageux et lucides précurseurs osèrent remettre en cause les dogmes religieux et autorités cléricales. Puis les penseurs des « Lumières » imaginèrent une nouvelle conception de la vie humaine, fondée non plus sur des croyances, mais sur la raison et les idéaux de liberté et d’égalité
Leur pensée, passablement falsifiée et dénaturée en un matérialisme désespérant, fut utilisée pour justifier le monde industriel, polluant, technocratique et destructeur, que nous connaissons aujourd’hui.

Devant le désastre des crises sans fin, la tentation est grande de revenir à l’ordre ancien, religieux et rétrograde, avec ses certitudes creuses et rassurantes.
Mais l’écroulement progressif des idéologies de référence peut aussi être vu comme une chance historique, l’opportunité idéale pour l’humanité de s’éveiller enfin de ses rêves infantiles et de devenir pleinement adulte. Cela signifie cesser de dépendre de la parole d’un autre, et devenir soi-même source de sa propre pensée, de sa propre vision et de sa propre autorité.
Autrement dit, il s’agit de ressentir, reconnaître et assumer sa propre divinité, c’est-à-dire les qualités sublimes et remarquables, que chacun porte potentiellement en soi.
Telle est précisément l’expérience des éveillés, qui découvrent et enseignent que ce que l’on nomme Dieu n’est autre que l’énergie, l’intelligence ou le principe de vie présents en tout être et en toute chose, et donc en tout premier lieu en soi-même, en son propre cœur.
Le cœur est ainsi l’outil, le moyen ou le chemin de l’Éveil.

Or il est le grand oublié de notre société. Pour des raisons différentes, matérialistes comme spiritualistes s’en défient, le rejettent ou le tiennent à distance.
Pour les matérialistes, seule importe la raison. Et ils considèrent avec beaucoup de mépris et de suspicion la sphère du sentiment, de l’intuition et de la sensibilité.
Ce mode de pensée, qui est celui de nos supposées élites, valorise l’intellect et le raisonnement, et déprécie l’affection et l’imaginaire; il aboutit à une pensée coupée du cœur, de l’idéal et de l’intuition, donnant naissance à une société dépourvue de sens, seulement préoccupée de rendement et de productivité.
Quant aux personnes se disant spirituelles, elles ne cessent de s’efforcer de vivre au contraire « dans le cœur » et « dans l’amour », par leurs pratiques, leurs rituels et leurs affirmations.
Mais elles n’acceptent le plus souvent que la moitié du cœur, celle correspondant à l’image de pureté et de perfection, qu’elles voudraient donner et avoir d’elles-mêmes, rejetant avec horreur et répulsion, chez elles et chez autrui, les personnages intérieurs incorrects et les émotions indésirables.
Or refouler ses émotions n’aboutit qu’à les renforcer. Et vouloir induire en soi artificiellement, par la force de la volonté, la joie et l’amour, en niant ce que le cœur ressent vraiment, ne conduit qu’à créer un personnage faux, mièvre, mielleux et hypocrite, au lieu et à la place de soi-même, qui n’a rien à voir avec l’authentique sourire de l’être éveillé.

Heureusement, il a de tout temps existé une autre conception de la spiritualité, celle qui mène précisément à l’Éveil, et qui consiste à découvrir et accepter toutes les facettes de soi et à vivre, par l’alchimie du cœur, leur transmutation en force, joie, paix, amour et sagesse.
On peut alors s’autoriser à être vrai, spontané et sincère, sans se sentir tenu de porter le masque de la personne constamment heureuse, parfaite et irréprochable.
Le cœur est donc à prendre, écouter et accepter en totalité, car il est détenteur du savoir essentiel, de la connaissance intuitive et de l’intelligence affective, dont notre monde a si urgemment besoin.
Ainsi, paradoxalement, c’est lorsqu’il se met à l’écoute de ses sentiments, que l’être humain cesse de se comporter en idiot ou en barbare et qu’il redevient sensé et rationnel.

Accepter ses émotions, son cœur, sa sensibilité mène ainsi naturellement à la douceur, la bonté, l’échange et le partage, et à édifier une société heureuse.
Refuser ses émotions, les nier, les étouffer et les incarcérer, c’est se condamner à la souffrance, la violence et la guerre, s’enfermer dans une spirale de drames et de crises inutiles, jusqu’à la lassitude de ce jeu cruel et le désir d’en sortir.
La révolution du cœur, qui sera peut-être la grande surprise des temps à venir, consistera alors à s’ouvrir, se lâcher, s’abandonner, quitter les masques, postures, rôles et prétentions, retrouver la joie, le pouvoir et la sagesse, et exprimer son être primordial, sa nature éternelle.

Le cœur nous pousse ainsi à avancer, comprendre, écouter, donner, recevoir, accepter, aimer.
Le cœur nous révèle notre véritable identité, notre nature grandiose, sublime et prodigieuse.
Le cœur est la matrice de tous les changements, la source de tous les accomplissements.
Le cœur nous donne accès au savoir, à l’intuition, à l’amour et à l’Éveil, simplement, spontanément, naturellement, sans qu’il soit nécessaire de souffrir, se contraindre, se blesser ou se combattre.

La porte de la joie, la condition du bonheur et la clé de la sérénité résident certainement en nous-même, non seulement du fait de notre pouvoir d’accepter et de transmuter nos émotions, mais encore parce que la souffrance et la détresse sont tout bonnement des malentendus.
Souffrir est ainsi la conséquence d’un mode de pensée inadéquat qui, pour être général n’en est pas moins erroné, et qui consiste à classifier le monde et tout ce qu’il contient, en deux blocs opposés et inconciliables : le bien et le mal, ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas, ce que l’on valorise et ce que l’on déprécie, ce que l’on accepte et que l’on refuse, récuse ou rejette.
Comment peut-on être heureux s’il advient ce que l’on n’aime pas ou si ce que l’on aime disparaît, car, comme le disent les bouddhistes, « la seule chose qui ne change pas, c’est le changement » ?

Les éveillés, quant à eux, sont heureux, à chaque instant et de manière si manifeste que la joie illumine leur visage ; car ils sont connectés à leur puissance de vie et ont découvert en eux-mêmes la source de tout contentement.
Aussi aiment-ils ce qui est.
Ils ne séparent pas les êtres et les événements en bons et mauvais, mais perçoivent en chacun l’étincelle qui l’anime.
Ils ne combattent pas le réel, mais jouent, chantent et dansent avec lui.
Ils acceptent totalement ce qui advient, et vibrent en accord et en harmonie avec le monde, ce qui ne signifie pas qu’ils s’interdisent de penser, parler et agir, lorsque cela s’avère nécessaire.

Ils peuvent même s’avérer de grands réformateurs ou des penseurs radicaux, mais ils agissent guidés par la vision d’un monde plus avancé et non par rejet de celui-ci.
Car la force d’agir est la force d’aimer : on ne se rebelle pas par haine du tyran, mais par amour de la liberté !
Accepter ce qui est, ce n’est donc pas devenir un légume, ni un esclave consentant et résigné ; c’est au contraire prendre acte de la situation, pour agir en pleine connaissance de cause et avec la meilleure efficacité.
Autrement dit, accepter la réalité, c’est se comporter en adulte, au lieu de s’adonner à la réaction, à la crispation, au stress ou à la gesticulation.

Si les éveillés ne croient pas à l’existence du bien et du mal (contrairement aux religieux), s’ils ne valident pas cette vision dualiste du monde, c’est simplement parce qu’ils ont dépassé le stade émotionnel.
En effet, c’est par peur, haine ou désespoir que l’on va décréter sommairement que tel individu, peuple ou doctrine incarnerait le mal ou le bien, et qu’il faudrait combattre les premiers pour faire triompher les seconds.
C’est toujours au nom du bien et pour extirper le mal, que l’être humain, depuis des siècles, tue, extermine, torture et asservit.
Aussi, le bien et le mal sont-ils des catégories imaginaires, des concepts naïfs, simplistes et réducteurs ou de pieux prétextes, pour assouvir des pulsions inavouables de revanche ou pour justifier ses peurs.

L’Éveil consiste donc à cesser le combat, cesser d’opposer les uns aux autres, cesser de se réclamer d’une chapelle plutôt que d’une autre, et apprécier la beauté, la valeur et la sagesse de tout être, de tout moment et de tout événement.
Car, aux yeux des éveillés, tout instant est parfait, tout être est porteur d’une sagesse et d’une lumière que parfois il ignore, et toute situation est riche de sens et d’enseignement.
Ayant cessé de réagir émotionnellement et mécaniquement aux évènements, ils ne les perçoivent plus isolément, en les étiquetant comme bons ou mauvais, mais comme des moments d’une vaste et ininterrompue succession de transformations, des phases d’un processus ou d’une chaine causale aux conséquences sans fin.
Ainsi, d’un supposé « mal », peut surgir un « bien » ; et ce que l’on prenait pour un « bien » pourra avoir au final des effets désastreux.
C’est pourquoi, plutôt que de se focaliser de manière passionnelle sur les événements, en ne cessant de se réjouir ou de se lamenter, tel une marionnette robotique, le sage préfère-t-il demeurer serein et poursuivre paisiblement sa tâche.

Accepter ce qui est permet ainsi de développer en soi l’équanimité (qui est un des aspects de l’Éveil), c’est-à-dire l’égalité d’humeur, une joie sereine et légère, fondée sur l’ouverture, l’abandon et la confiance envers la vie.
Naît alors peu à peu le sentiment intuitif que les événements qui affectent nos vies, fussent-ils les plus absurdes ou les plus improbables, n’adviennent pas par hasard, et sont même idéalement ciselés, pour nous amener à vivre les situations, choix et changements, dont nous avons le plus ardemment besoin.
Pas après pas, erreur après erreur, expérience après expérience, nous apprenons ainsi patiemment notre métier d’humain.
Et notre séjour sur Terre apparaît alors, non plus comme une injustice, un exil ou une prison, mais comme une efficace et inventive école de courage, de sagesse et de vérité.
En tant qu’artistes du réel, intrépides et aventureux, il nous appartient seulement de nous ouvrir et de nous abandonner à la somptueuse danse cosmique de l’évolution et de l’Éveil.

La danse de l’esprit

« La vérité vous rendra libres » disait le Christ ; et le groupe d’aventuriers mystiques dont faisait partie le célèbre Gurdjieff, se nommaient eux-mêmes les « chercheurs de vérité ».
Aussi la quête de vérité est-elle un autre nom de la démarche spirituelle, puisqu’il y est question de s’affranchir des illusions, erreurs, croyances et mensonges qui aliènent et conditionnent l’humanité, pour retrouver et redécouvrir sa liberté, sa beauté, son savoir et son pouvoir, pour redevenir soi.
Mais de quelle vérité parle-t-on ?
Et qu’est-ce au juste que la vérité ?

On entend souvent dire que la vérité n’existe pas, que chacun possède sa vérité et qu’il ne sert donc à rien de discuter, si ce n’est à attiser les haines et les conflits.
Mais ce point de vue séduisant se révèle rapidement, si l’on veut bien y réfléchir, nihiliste et même absurde, puisqu’il nie la possibilité de toute connaissance, de toute science et de toute recherche.
Un chat n’est pas un chien ; la terre est sphérique et non plate : c’est là une vérité et des hommes sont morts pour avoir osé l’affirmer.
En tout domaine, il est donc possible d’élaborer et d’acquérir un savoir, sachant que celui-ci pourra être complété ou remis en cause, à mesure qu’apparaîtront des éléments nouveaux.

Rechercher la vérité sur soi-même et sur le monde, c’est ainsi comparer les différentes idéologies existantes, formuler ses accords et ses désaccords, distinguer au sein de chacune, ce que l’on estime juste ou non et élaborer ainsi peu à peu sa propre opinion et sa propre vision.
Il n’y a donc rien de négatif ou d’immoral à critiquer ou émettre des objections ; c’est la condition même de la liberté de pensée : les dissidents soviétiques ou les opposants à Hitler critiquèrent leurs dirigeants ; le Christ critiqua les pharisiens et le Bouddha le système des castes, sans que personne ne songe aujourd’hui à le leur reprocher.

Aussi nous faut-il cesser de croire que la pensée soit incompatible avec l’Éveil. Car, à force de vouloir « se couper du mental », « détruire ou tuer le mental », beaucoup ont fini par ne plus oser penser du tout !
La diabolisation du mental qui a cours dans les milieux dits spirituels provient d’une erreur de traduction : on traduit par mental, en l’assimilant à l’intellect, le sanskrit « manas », qui désigne en fait la pensée émotionnelle, conditionnée par le passé et les automatismes de toutes sortes.
Mais il existe un autre mot sanskrit, « vijnana », qui désigne le mental ou l’intellect évolué et éveillé, dépositaire et expression de la sagesse de l’esprit conscient et inspiré.
Le mental n’est donc pas un ennemi à fuir ou à combattre, mais une fonction à affiner, développer et accomplir.
Ainsi le mental, l’intellect ou l’esprit sont à réhabiliter, au même titre que le corps et le sentiment.
Un être éveillé emploie l’intégralité de ses facultés ; c’est un être complet, qui assume la totalité de sa nature humaine et non une figure angélique, castrée ou amputée de son sexe, de son cœur ou de son cerveau.
Qu’est-ce donc qu’une spiritualité sans esprit, où l’on s’interdit de réfléchir et où l’exercice même de l’esprit, c’est-à-dire la pensée est considéré avec méfiance et suspicion, comme une activité douteuse, dangereuse voire diabolique ?
Cette spiritualité-là (ou pseudo-spiritualité) n’est qu’un instrument totalitaire, régressif et involutif, qui enferme dans une impasse sinistre, des êtres dont le potentiel et la vocation étaient de s’éveiller.

Un autre obstacle majeur à la liberté de pensée comme à la liberté d’expression, réside dans la croyance curieuse, extrêmement répandue dans les milieux spirituels et du développement personnel, que la critique est négative, diabolisant ainsi toute opinion dissidente, qualifiée de « jugement ».
Ce point de vue est non seulement absurde, mais totalitaire, puisqu’il interdit toute pensée personnelle : en effet, si exprimer un désaccord ou une divergence est interdit, on se condamne soi-même, ainsi que les êtres que l’on côtoie, au conformisme le plus total, faisant dès lors régner une « police de la pensée » des plus détestables, en complète contradiction avec les idéaux démocratiques et les droits de l’homme, si difficilement conquis, reconnus et acquis depuis deux siècles.
Ajoutons que cette tentative illusoire de ne jamais « juger », ni critiquer qui ou quoi que ce soit, pour ressembler à un « petit saint », est par définition incohérente, puisqu’elle aboutit à rejeter et donc « juger » quiconque aurait l’audace d’y contrevenir, en osant critiquer et faire usage de son esprit.

Il s’agit, une fois encore, d’un malentendu, provenant d’une confusion entre pensée et émotion.
Une opinion critique ne devient problématique que si elle est haineuse ou méprisante, et si elle aboutit à refuser le dialogue et à rejeter par avance ce que l’autre souhaite exprimer.
Ce n’est donc pas la pensée critique qui crée la guerre et le conflit, mais la haine et le rejet de l’autre, ce même rejet, ainsi que la censure et le refus de communiquer avec les « mal-pensants », étant précisément le résultat de l’application de l’idéologie du non-jugement.
La critique et le jugement peuvent parfaitement être bienveillants et bien intentionnés ; et ils sont même indispensables à toute discussion ouverte et à l’expression d’une pensée libre.
Les interdire, c’est refuser d’entendre l’autre ; et c’est s’opposer à tout changement, toute remise en cause et toute transformation sociale. La critique, rationnelle et argumentée a, de tout temps, été l’outil fondamental des idéalistes et de tous ceux qui ont voulu changer l’ordre des choses : on ne peut proposer du neuf, sans pointer les failles de l’ancien.
De plus ; l’idéologie du non-jugement conduit à penser que tout se vaut et qu’il n’y a pas de différence entre beauté et laideur, vérité et erreur, talent et médiocrité; c’est donc la négation de tout savoir, de tout sens et de toute valeur, ainsi que le choix implicite de la confusion, de l’ignorance et de la régression.
L’interdit du jugement a finalement pour origine la peur de prendre position et le sentiment d’auto-dévalorisation, l’idée (inexacte) de son inaptitude à démêler par soi-même le vrai du faux, et par conséquent la primauté accordée à la norme commune.
C’est donc de ces émotions et croyances, qu’il convient de se libérer, plutôt que d’imposer en soi et autour de soi, une dictature sclérosante et étouffante.
Pour clarifier et résumer cette question, précisons que le terme de jugement (comme celui de mental) génère beaucoup de confusion et serait peut-être pour cette raison à éviter, car il désigne deux réalités tout-à-fait différentes : d’une part l’appréciation ou l’évaluation d’un fait, d’une attitude ou d’une situation, indispensables à l’élaboration d’un savoir ou d’une opinion (ce que l’on nomme la faculté de jugement), et d’autre part le rejet ou la condamnation sans appel d’un être ou d’une idée, parce que celui-ci ou celle-ci réveille en soi une émotion latente ou remet en cause une croyance ou un système culturel de croyance. La solution à apporter dans ce cas réside dans la perception et la transmutation de ce réflexe de nature émotionnelle .

Pourquoi tant de gens ont-ils donc si peur d’être autonomes, de penser par eux-mêmes et préfèrent-ils répéter les vérités toutes-faites, réciter les dogmes en vigueur ?
Enfants, nous voulions tout savoir du monde.
Nous n’avions de cesse de tout comprendre, tout connaître, tout explorer ; et nous demandions aux « grands » qui nous entouraient, de nous expliquer le pourquoi et le comment de toute chose.
Et puis, à un certain moment, nous avons cessé de poser des questions. Était-ce parce que nous n’avions plus rien à découvrir, ou bien ne serait-ce pas plutôt, parce que nous avons compris que ce qui était exigé de nous n’était pas de penser par nous-même, mais de « penser comme il faut » ?
Aussi, avons-nous, pour la plupart, pris l’habitude de répéter ce que l’on nous disait, et de jouer le rôle que l’on nous demandait, obtenant ainsi l’approbation et l’amour, plutôt que de rechercher la vérité, activité risquée, improbable et déconsidérée.
Ainsi en va-t-il partout sur la planète : selon que l’on naîtra dans une famille chrétienne, bouddhiste ou communiste, on sera chrétien, bouddhiste ou communiste ; et même si l’on commence à s’éveiller et que l’on cherche à y voir plus clair, on se contentera généralement de troquer une idéologie pour une autre, plus seyante, moderne ou « branchée ».

Chacun croit ou prétend penser par soi-même, mais dans la réalité, il en va tout autrement : il faut bien reconnaître que beaucoup, si ce n’est la plupart des êtres humains, ont en effet décidé, à partir d’un certain âge, d’abandonner leur pouvoir de penser entre les mains de supposées autorités (religieuses, politiques, philosophiques, médiatiques…) ; et dès lors, leur existence tout entière consistera, non pas à tenter de comprendre le monde et à élaborer leur propre pensée, mais seulement à répéter les vérités toutes-faites établies, une bonne fois pour toutes, par ces mêmes autorités et leurs idéologies, sans qu’il ne soit jamais question de s’interroger sur leur pertinence ou leur validité.
Pourtant, pourquoi la vérité résiderait-elle davantage dans des « livres saints » ou traités philosophiques, souvent obscurs, abscons ou illisibles, plutôt qu’en notre propre esprit ?

Pour illustrer ce mécanisme étrange, qui fait perdre à l’être humain tout sens critique, prenons un exemple dans le bouddhisme (mais l’on pourrait en trouver tout autant, dans d’autres systèmes de pensée ou de croyance) : il existe dans le canon bouddhique, quatre affirmations qualifiées traditionnellement de « quatre nobles vérités », qui s’avèrent, lorsque l’on prend la peine de les étudier, grandement contestables ou pouvant, tout au moins, être matière à discussion. Or jamais l’on ne trouve, dans l’abondante littérature consacrée au bouddhisme, la moindre remise en cause ou examen critique de ces assertions.
Il suffit donc que l’on déclare qu’il s’agit de vérités (nobles de surcroît), pour que chacun les considère automatiquement comme telles, sans essayer de se forger sa propre opinion.

Prenons un autre exemple de soumission aveugle à l’autorité et de répétition sans réflexion de ses affirmations, concernant également le bouddhisme : voilà des années que l’on entend partout répéter que le bouddhisme n’est pas une religion, mais une philosophie, au motif que l’on n’y parle pas de Dieu (alors que le Bouddha et les Bodhisatvas sont souvent vénérés comme des déités).
Depuis quand voit-on des philosophes en robe rouge, jaune ou noire se prosterner devant des statues, répéter tous la même chose et réciter des prières ?
Le bouddhisme présente sociologiquement toutes les caractéristiques d’une religion (existence d’un clergé organisé hiérarchiquement, rituels et liturgies, corpus dogmatique, injonctions et interdits, uniformes sacerdotaux et objets de culte) et aucun des traits d’une philosophie (libre discussion où chacun se trouve dans une situation égalitaire et est invité à exercer son regard critique et à élaborer sa propre opinion).
Que le Bouddha soit l’un des plus remarquables éveillés qui ait foulé le sol de cette planète, c’est une évidence ; et il disait lui-même : « ne croyez rien de ce que j’affirme, mais soumettez le à votre propre expérience ».
Mais cela ne signifie pas qu’il en soit de même des êtres qui lui ont succédé et qui ont codifié et mis en dogmes son message ; et il faudrait être bien naïf pour penser que ce qui est arrivé à tous les autres initiateurs de mouvement spirituel ou religieux (déformation et dénaturation de leurs enseignements), ait miraculeusement épargné le bouddhisme depuis 2500 ans.

La véritable spiritualité ne consiste donc pas à accumuler les commandements, les règles et les interdits, ni à s’efforcer de ressembler à un modèle de perfection, mais à abandonner tout repère extérieur et à devenir soi-même source de connaissance, de sagesse et d’inspiration..
Car, comment l’esprit éveillé pourrait-il se faire jour, lorsque la place est prise, lorsque l’esprit est encombré de toutes sortes d’idées, impératifs et injonctions qui ne viennent pas de soi ?
L’Éveil est ainsi un grand nettoyage, un vaste effondrement des illusions, erreurs et pseudo-certitudes qui figent et ankylosent l’esprit.
Et c’est par l’apprentissage de la pensée juste, autant que par l’ouverture du cœur, qu’apparaîtra un nouvel être humain, apte à édifier une société heureuse et évoluée.

La spiritualité dont a besoin notre temps ne consiste donc pas en quelques exercices de yoga ou de za-zen, quelques nouveaux dogmes exotiques et un zeste de bien-pensance et de bonne conscience, mais en un réensemencement de la pensée contemporaine, au regard du savoir acquis depuis des millénaires, par les mystiques et éveillés du monde entier, posant ainsi les fondations et conditions d’un monde différent, réellement alternatif, car authentiquement éclairé.
Profitons donc de la chance historique qui nous est offerte, d’explorer de nouveaux territoires, de défricher de nouveaux possibles, en faisant la synthèse de l’Orient et de l’Occident, de la contemplation et de l’action, de la pensée et du sentiment, de l’intuition et de la logique, du connu et de l’inconnu, du cœur et de l’esprit !

La culture de l’Éveil

Ainsi l’Éveil est-il un voyage, un itinéraire de transformation, menant d’un état A à un état B, radicalement nouveau et différent, à ceci près que gare de départ et gare d’arrivée ne font qu’une. Et l’on ne peut savoir à l’avance combien de temps durera le périple, ni quels seront les obstacles rencontrés.
L’Éveil ne peut donc être décidé, décrété, prévu ou programmé à l’avance ; il échappe à la volonté et au contrôle, et se rit de leurs ridicules prétentions ; il ne peut être feint ou singé, tant sa présence est manifeste et son empreinte inimitable.
L’Éveil n’est pas davantage un processus intellectuel, consistant à mémoriser et commenter les faits et dires des éveillés.
Il se trouve ainsi, dans toutes les cultures, des érudits capables de disserter, des heures durant, sur les mérites de tel ou tel enseignement ou système de croyance. Mais cela n’a rien à voir avec l’Éveil, qui est une mutation totale et radicale, un changement profond et manifeste de comportement et de manière d’être.
Et surtout, l’Éveil est sans rapport avec le culte des éveillés, leur vénération, la célébration de leur souvenir et la récitation béate de leurs paroles et préceptes.

Là commence l’éternelle erreur des cultes et religions, qui consiste en un subtil changement d’objectif : au lieu de s’élancer dans la quête de l’Éveil, comme l’ont fait depuis toujours les « chercheurs de vérité », on va simplement se contenter de communier dans l’adoration d’un maître (généralement mort depuis longtemps) et de ses nombreux successeurs.
C’est ainsi (en tout cas apparemment) beaucoup plus facile : il n’est plus question d’apprendre à se connaître, de se confronter à ses ombres et de remettre en cause tout ce que l’on croyait savoir de soi et du monde.
Il suffit désormais de se couler dans les moules préformés des prières et des rituels, pour se trouver, à l’instant même, gratifié de tous les mérites et de toutes les qualités, en faisant ainsi l’économie d’un véritable travail sur soi.
Autrement dit, l’obéissance remplace désormais la quête intérieure et la conformité devient de ce fait la valeur suprême, au lieu et à la place de l’Éveil.

Avec la meilleure volonté du monde, nombre de chercheurs spirituels sincères tombent malgré eux dans le piège de la pseudo-spiritualité du paraître et du faire-semblant : en s’imposant des efforts pour ressembler à un modèle de pureté, d’amour et de perfection, on est ainsi amené, au lieu de rester simple, naturel et spontané, à créer artificiellement par la volonté, un personnage fictif et factice, que l’on voudrait être soi et à refouler par voie de conséquence ses émotions et ses parts d’ombres ; ce qui ne les fera nullement disparaître (car on ne peut tuer une part de soi), mais au contraire les renforcera, et les rendra d’autant plus agissantes, qu’elles seront désormais inconscientes, car niées et disqualifiées.
La prétendue spiritualité du refoulement et du contrôle, devient vite un combat incessant et sans fin, contre ses « mauvais penchants » ou émotions perturbatrices, qui ne pourront jamais se transmuter, puisqu’elles n’auront jamais été, ni acceptées, ni ressenties.

Évidemment, ce syndrome du combat contre soi tire son origine de notre culture patriarcale ancestrale, pour laquelle rien ne peut s’obtenir autrement que par la lutte, la domination et le contrôle, y compris contre soi-même, lorsqu’il est question de s’accomplir ou s’éveiller.
Cette étrange mentalité, qui voit en l’autre et surtout en soi un ennemi méprisable à vaincre, humilier, soumettre et surveiller, fournit la clé ou l’explication du masochisme religieux ou pseudo-spirituel : postures douloureuses et inconfortables, que l’on s’oblige à tenir pendant d’interminables méditations ; auto-surveillance constante de ses paroles et de ses pensées, afin de ne surtout pas être « dans le mental, l’ego ou le jugement » et autres auto-limitations absurdes ; négation de sa propre faculté de penser, au bénéfice des idées de supposées autorités, que l’on répétera et transmettra servilement ; culte de la personnalité autour de quelques personnages encensés, avec la croyance que l’on ne pourra jamais les égaler, traduisant le peu d’estime que l’on a de soi ; accomplissement sans réflexion de gestes et de prières, non en raison d’une idée ou inspiration personnelle, mais parce qu’ils ont été prescrits par son autorité de référence, etc.

Le point commun de toutes ces attitudes est donc le mépris de soi, l’idée que l’on est inapte à penser, comprendre, savoir et ressentir par soi-même, et la délégation de toutes ces facultés à plus grand, plus sage ou plus évolué que soi.
Se met alors en place insidieusement un cercle vicieux : plus l’on fait prévaloir la voix de l’autorité sur la sienne propre, plus l’on se détourne de ses propres capacités ; plus l’on étouffe ses émotions, plus l’on se coupe de son ressenti et de sa sagesse personnelle. Se trouvant alors perdu, ne sachant plus discerner le vrai du faux, le réel de l’illusoire, on se réfugie d’autant plus, dans le giron rassurant des groupes et « familles » spirituelles.
La fin du non-éveil est précisément l’Éveil : c’est lorsqu’il est repu de sommeil et d’illusion, lorsqu’il a suffisamment goûté les délices de la souffrance, de l’ignorance et de l’aliénation, que l’être humain envisage de quitter l’obscur labyrinthe des voies sans issue et de se risquer à la lumière et à l’air libre.
Cesser de souffrir est ainsi une nouvelle expérience, étonnante, inhabituelle, presque exotique. « Le bonheur est une idée neuve en Europe », disait Saint-Just.
Lorsque l’apprenti spirituel en aura assez d’être son propre accusateur, son propre bourreau et son propre geôlier, de se croire trop ceci ou pas assez cela, d’imaginer qu’il y aurait en lui quelque chose qui ne va pas, un crime ontologique, un péché originel ou un mental problématique, alors il réalisera sa propre perfection, son éternelle beauté, sa définitive illimitation.

Mais, dira-t-on, tout ceci concerne les religieux. Qu’en est-il de la spiritualité hors-religion ?
Osons le dire : l’écrasante majorité des personnes qui se déclarent « spirituelles », se trouvent prises au même piège que les adeptes des religions. Elles participent du même syndrome d’auto-censure, d’auto-contrôle et de d’auto-dépréciation.
Leur supposée spiritualité consiste pour l’essentiel en un assemblage aléatoire de pratiques ritualisées, de paroles stéréotypées piochées dans les livres ou enseignements à la mode, et de vagues injonctions morales, ne différant que fort peu, en cela, des adeptes des religions.
On trouvera des différences de vocabulaire, de look ou de folklore, mais les mêmes attitudes de ritualisme, de dogmatisme et de conformisme, les mêmes interdits et la même bien-pensance.
Beaucoup quittent ainsi le christianisme pour le bouddhisme, l’hindouisme, le chamanisme ou le « new-âge », sans imaginer qu’ils puissent tomber par-là de « Charybde » en « Scylla », que leur conversion consiste pour l’essentiel à troquer un habit blanc pour un manteau rouge, jaune ou noir, à changer simplement de troupeau.
Faut-il donc tout rejeter, récuser, interdire, vilipender ?
N’y a-t-il aucun enseignement, aucun maître, aucune voie que l’on puisse suivre avec profit ?

La connaissance et l’expérience, dans quelque domaine que ce soit, s’acquièrent par l’étude et la mise en pratique des divers savoirs que l’on aura acquis. Et plus l’on se sera abreuvé à des sources variées, plus la connaissance en résultant sera riche, diversifiée et approfondie, plus l’on sera à même d’effectuer sa propre synthèse et d’élaborer sa propre vision.
Il n’y a donc rien à rejeter, aucune connaissance à récuser ou refuser ; mais au contraire, toutes sont à aborder, étudier, questionner et approfondir afin de se construire, mais en conservant toujours distance critique et liberté d’appréciation.
Le problème ou la stagnation commence, lorsque l’on adhère à un système déterminé, s’interdisant, pour cette raison, d’« aller voir ailleurs », comme de critiquer ses maîtres et leurs assertions, perdant de ce fait son autonomie de pensée et sa capacité de progresser.

Le problème est le besoin d’adhérer et de croire, besoin infantile et ancien d’être rassuré et sécurisé par une famille et un père ou une mère omnipotent et omniscient, entre les mains de qui l’on abandonne, et son savoir et son pouvoir, ouvrant dès lors la porte à tous les abus et toutes les sujétions.
Mais, pour peu que l’on ressente, accepte et comprenne ses émotions, on ne sera plus susceptible de tomber dans le piège de l’idolâtrie et de la dépendance, qui est simplement un transfert, bien connu des psychanalystes.
La différence entre un être libre et un esclave soumis, entre un éveillé et un dormeur, entre un penseur et un croyant réside précisément là : voudra-t-on être l’auteur de sa propre pensée, ou vivra-t-on par procuration, à travers l’esprit de quelqu’un d’autre ?

Tel un poisson tournant en rond dans son triste bocal, l’homme ou la femme d’aujourd’hui étouffe et désespère dans un monde absurde, dépourvu de sens comme de finalité, et se tourne alors à raison vers la spiritualité ; mais les versions qui lui en sont le plus souvent proposées, ritualistes, dogmatiques et disciplinaires, se révèlent finalement comme autant de murs ou d’impasses, tout aussi sclérosantes et aliénantes, si ce n’est davantage.
La version de la spiritualité qui nous fut en effet vendue ou imposée un peu partout pendant des millénaires s’avère être, au final, une illusion ou une imposture toxique, dirigée contre la vie elle-même et conduisant, aussi aberrant que cela puisse paraître, à culpabiliser, condamner et diaboliser les fonctions biologiques, permettant à l’être humain d’évoluer et de se réaliser : ainsi nous a-t-on fait croire que le corps est impur, la sexualité diabolique, l’émotion à réprimer et le mental à éliminer.
Que nous reste-t-il alors pour faire l’expérience de la vie ?
Est-ce ainsi, par la négation de nous-même, que nous allons nous éveiller ?
Quel but ou objectif nous est-il assigné, si ce n’est de devenir de parfaits robots infantiles, impuissants et décérébrés ?

Cette prétendue « spiritualité » anti-vitale, masochiste et maladive, conduisant, par la soumission à des rituels superstitieux et des commandements arbitraires, à se contrôler, se blâmer et se culpabiliser constamment, n’est qu’une tentative désolante et absurde de répression et interdiction de toute manifestation de vie libre et spontanée en l’être humain. Or c’est tout au contraire par la découverte et l’expression de la spontanéité et de l’authenticité, que l’on peut retrouver sa véritable nature et non seulement expérimenter le bien-être et l’harmonie, mais également s’engager sur le chemin de l’Éveil.
Aussi est-il grandement temps d’inventer aujourd’hui, à partir de soi et de ses propres expériences, une nouvelle forme de spiritualité, rationnelle, hédoniste et émancipatrice, consistant à s’affranchir de toutes les barrières et prisons intérieures, à remplacer la tyrannie du contrôle et de la volonté par l’aventure du lâcher-prise et de la spontanéité, enfin à retrouver et faire rayonner son plein potentiel, dans tous les aspects et domaines de l’expérience humaine.

Aussi l’Éveil, tout comme la vie, connaît-il mille couleurs, mille nuances et mille déclinaisons.
Ne l’emprisonnons donc pas dans des définitions restrictives, des conceptions figées, des catégories fermées. Sachons le reconnaître derrière les multiples fards, voiles et déguisements qu’il se plaît à emprunter.
L’Éveil est partout, dans le chant du poète, l’extase des amoureux ou les cris de joie des enfants.
Cessons donc d’opposer éveillés et non-éveillés ; cessons d’idolâtrer les premiers et de déprécier les seconds ; renonçons à situer les uns et les autres d’un côté ou de l’autre de la barrière, car celle-ci est parfaitement imaginaire.
Même les éveillés les plus remarquables continuent chaque jour d’évoluer et de se transformer, car la vie est sans fin.
Nous sommes tous plus ou moins éveillés, en voie d’Éveil, autrement dit des éveillés en puissance, en devenir ou en apprentissage.
Cessons de nier, masquer ou oublier ce que nous sommes profondément. Assumons notre nature divine, grandiose et glorieuse. Cessons de faire semblant de ne pas être éveillés !
Car l’Éveil est la matière même de nos vies ; il n’est pas une chimère à attendre ou à espérer, mais une réalité à découvrir, défricher, explorer et ressentir, dès maintenant, dès aujourd’hui.
L’Éveil est l’énergie, la conscience et le signal du nouveau monde

Aussi nous faut-il, pour le manifester, passer de l’état de disciple à celui de maître, reflétant ce que nous sommes en réalité et de toute éternité ; ce qui ne signifie nullement monter sur une estrade et nous faire adorer, mais assumer et exprimer notre vérité profonde, notre nature essentielle, notre indéfectible Éveil, chacun à sa manière et selon son inspiration.
Beaucoup vivent l’époque actuelle comme un calvaire ou une épreuve, en maugréant, rechignant et traînant les pieds.
Pourtant, en raison même de ses difficultés et incertitudes extrêmes, elle nous offre l’occasion idéale pour nous éveiller et nous accomplir à une vitesse accélérée. Sans doute avec le recul, ce temps apparaîtra-t-il comme une des plus fantastiques écoles d’évolution et d’Éveil, qu’il soit possible de connaître et d’expérimenter.
Alors, profitons-en pleinement ; et soyons aux premières loges pour assister et participer au fascinant spectacle de la mutation planétaire.

L’Éveil de conscience des peuples et des individus est ainsi le pont entre les mondes, le moyen et le moteur de la transition des âges ou de la mutation sociétale et planétaire.
Héritière du Christ et du Bouddha, comme de Woodstock ou de mai 68, la nouvelle culture spirituelle, que chacun pressent, attend et espère, ne consiste pas à prendre des poses ou des manières « spirituelles » ou à afficher un éternel sourire béat, mais à être vrai, naturel, intuitif et créatif, à œuvrer plutôt que travailler, à inventer plutôt qu’appliquer, à réfléchir plutôt que répéter, et à écouter son corps, honorer sa sexualité, vivre ses émotions, exercer sa pensée et expérimenter l’expansion de sa conscience.
La nouvelle culture de vie qui s’en vient, ne vise pas à formater et enfermer l’être humain dans des moules et schémas répétitifs et restrictifs, mais à lui procurer les conditions idéales pour se connaître, se comprendre, se trouver, se transformer et se réaliser, exprimer ses plus remarquables et brillants potentiels et manifester sa nature éveillée, accomplie et unifiée.
La nouvelle spiritualité, libre, intuitive et spontanée ne conduit donc pas à être l’esclave d’un gourou, d’un groupe ou d’une doctrine, mais à devenir un humain adulte, évolué, actif et autonome, et à remplacer le rituel par l’expérience, les superstitions par la connaissance, la dévotion par l’estime de soi, l’obéissance par le dialogue, la prière par l’intuition et la discipline par l’inspiration.

C’est pourquoi le surgissement de l’Éveil n’est pas réservé ou confiné aux lieux conçus à cet effet (ashrams, monastères, ermitages etc.), mais s’invite insolemment dans tous les espaces de la vie sociale, et particulièrement ceux où les enjeux sont complexes, délicats, subtils et considérables : lieux associatifs, militants ou communautaires, salles de spectacle, ateliers d’artistes, studios de cinéma, universités, assemblées délibératives, salles de rédaction…
La réflexion, l’invention, l’imagination, l’illumination, la poésie, la spontanéité, la sensualité et le désir, sont ainsi les outils ou chemins multiples et inattendus de l’Éveil de l’humanité, qui lui permettront d’explorer et expérimenter la spiritualité essentielle et éternelle, celle de la vie, la joie, la jouissance et l’extase !

L’Éveil est ainsi notre droit, notre fête, notre défi et notre aventure.
L’Éveil est le sang qui coule dans nos veines, le torrent de vie qui irrigue nos cœurs, l’amour irrépressible qui émeut, bouleverse, transperce et illumine.
L’Éveil est la vocation, l’aspiration, la chance et le devenir de tout être vivant.
L’Éveil est la clé, le programme, le déclencheur et le mode d’emploi du monde à venir.

Pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés.